Le Canada ramènera-t-il au pays ses ressortissants soupçonnés d’avoir grossi les rangs du groupe armé État islamique en Syrie ? Plusieurs sources affirment qu’un plan de rapatriement secret a bien failli aboutir l’an dernier, ce qu’Ottawa nie. Une chose est sûre, on a demandé à tout le monde ici de se préparer à leur retour.
Cet article est paru dans La Presse le 05 novembre 2019
Quelles sont les responsabilités du Canada envers ses ressortissants ? Doit-on traiter les enfants différemment des adultes ? Les retournants posent-ils un risque pour la sécurité nationale ? La Presse s’est entretenue avec Phil Gurski, ancien analyste pour le Service canadien du renseignement de sécurité.
Q. Le Canada a-t-il une obligation légale ou morale de ramener les présumés djihadistes et leurs enfants ?
R. Voilà deux questions distinctes. Selon [le ministre sortant de la Sécurité publique] Ralf Goodale, le Canada n’a aucune obligation légale d’aider les Canadiens qui ont commis des crimes en dehors du Canada. Qu’on soit un djihadiste en Irak ou un drogué à Singapour, le Canada n’a aucune obligation d’envoyer la police ou l’armée pour vous sauver. Ça, c’est la question légale.
Il y en a qui font valoir que s’il n’y a pas d’obligation juridique, il y a une obligation morale. Et franchement, je me demande ce que ça veut dire. Dans le passé, j’ai dit que puisque ces gens se sont radicalisés au Canada, ils sont notre problème. Ce ne sont pas des innocents qui, une fois en Irak, se sont radicalisés. Le processus de radicalisation s’est fait ici au Canada. Le problème, c’est que les crimes ont été commis en Irak ou en Syrie. Les gouvernements de ces pays n’ont-ils pas le droit de les juger pour les punir de crimes commis dans leurs pays ?
Q. Doit-on faire une distinction entre les enfants et les adultes ?
R. Les enfants devraient être sauvés immédiatement. Ces enfants devraient être retirés à leurs parents, parce que selon moi, un père ou une mère qui voyage pour faire partie du groupe État islamique, ça me prouve qu’il n’est pas un parent. Le gouvernement canadien devrait sauver les jeunes enfants, les enlever à leurs parents s’ils sont vivants, les rapatrier au Canada et les confier à d’autres membres de la famille ou les confier à l’État.
Q. Pourquoi déciderait-on de les ramener au pays ?
R. Parce qu’un Canadien est un Canadien. Voici la fameuse citation de Trudeau il y a quatre ans [alors qu’il était chef de l’opposition, Justin Trudeau avait fait cette déclaration pour signifier qu’il s’opposait au retrait de leur citoyenneté aux terroristes]. Le problème, c’est que la grande majorité des Canadiens ne veulent rien avoir à faire avec ces gens-là. Alors si le gouvernement décide de tous les rapatrier, les hommes, les femmes et les enfants, ça va être peu populaire auprès de la grande majorité des gens. La raison pour laquelle les libéraux n’ont rien fait jusqu’ici, c’est qu’ils n’ont rien à gagner.
Q. Posent-ils un risque pour la sécurité nationale ?
R. Absolument. Certains parmi eux en posent un. Il y en a qui vont planifier des attentats ou commettre des attentats. L’autre problème, c’est qu’il y en a d’autres qui vont revenir chez nous sans renoncer à l’idéologie extrémiste ou terroriste. Et il se peut qu’ils radicalisent d’autres Canadiens. Est-ce qu’on veut que quelqu’un qui a passé du temps là-bas revienne et recrute ou radicalise des gens pour qu’ils suivent la même voie qu’eux ? Tout le monde ne va pas retourner et commettre un attentat dans la semaine ou le mois suivant, mais on ne peut pas le prédire. Il faut faire enquête sur tout le monde et déterminer le risque, et ça prend du temps.
Q. Pourra-t-on les accuser une fois ici ?
R. Selon la loi sur le terrorisme, c’est un crime de quitter le Canada pour se joindre à un groupe terroriste, mais le problème, c’est comment le prouver ? Les preuves sont en Syrie. Les preuves sont en Irak. Les témoins sont là. Les victimes sont là. Ça serait très difficile pour un gouvernement de constituer un dossier qui va subir avec succès l’épreuve des tribunaux au Canada. C’est difficile de recueillir des éléments de preuve en zone de guerre.
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